CYCLISME. UNE CAMPAGNE FLANDRIENNE HISTORIQUE

Le départ du Grand Prix de l'Escaut (photo Jean-Marc Devred)

En cyclisme, la campagne flandrienne a un air de carême. Chaque année, durant les deux semaines qui précèdent le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, une série de courses flamandes s’enchaînent en Belgique néerlandophone. Ces courses autrefois considérées comme de bons galops d’entraînement avant les deux monuments, ont quitté leur statut originel de kermesses pour devenir de véritables classiques, très recherchées par les spécialistes. Malgré la pandémie, ces courses si particulières ont pu se tenir, dans un contexte de précautions sanitaires jamais connu.

Arnaud Démare et ses équipiers masqués sur le podium de présentation de A Travers la Flandre à Roulers (photo Jean-Marc Devred)

Ypres, jolie commune de Flandre occidentale avec ses remparts, ses pièces d’eau et son architecture flamande, est confinée comme toute la Belgique depuis trois mois. Ce dernier dimanche de mars, la ville ancienne avec sa célèbre Halle aux Draps, est complètement bouclée.

Un départ émouvant à Ypres

Pourtant, c’est bien d’ici que part cette année la célèbre classique printanière Gand-Wevelgem. Mais comme lors de la dernière édition organisée en octobre , dans un calendrier chamboulé par la pandémie, la course a lieu à huis clos. Impossible pour les spectateurs d’accéder au centre-ville. A la Porte de Menin. on voit seulement les coureurs et les suiveurs accrédités. Un cornemusier joue un air écossais avant le départ.

Avant ce départ émouvant, les concurrents ont participé à une cérémonie protocolaire traditionnelle. Les équipes sont présentées une à une, en extérieur, malgré l’absence de public. Les coureurs passent ensuite dans une zone mixte aménagée pour répondre aux questions des journalistes. Tout le monde est masqué. Des barrières assurent une distance de sécurité et les télés notamment doivent sortir les micro-perches pour effectuer les interviews.

Une atmosphère de fin du monde

Au moment du départ fictif, les coureurs se débarrassent de leur masque. Des assistants les ramassent dans des sacs poubelles. Photographes et cameramen filment le départ 200 mètres après la ligne. C’est le début d’une longue randonnée de 6 heures vers la côte belge, avant un retour venté sur Wevelgem, après deux passages dans le mythique Kemmelberg. Habituellement, le célèbre mont pavé est noir de monde.

La zone mixte au départ de A Travers la Flandre (photo Jean-Marc Devred)

Le public est là dès le matin pour suivre la course sur écran géant, avant le double passage du peloton en pleine bagarre. La bière coule à flot, et l’odeur des frites et des fricadelles parfume ce haut-lieu du cyclisme, qui symbolise la passion du peuple flamand pour la petite reine.

 » Avec les mesures prises par les organisateurs, nous les coureurs, nous nous sentons parfaitement en sécurité« 

Anthony Turgis (équipe Total Direct Energie)

Ce 31 mars. Rien… Personne dans les deux montées. Même les journalistes ne peuvent accéder au mont, fermement gardé par la « politie ». Un grand silence et un grand vide qui donne à ce haut-lieu historique et touristique une atmosphère de fin du monde… ou de guerre mondiale.

Un public belge rare et discipliné

Seuls les habitants situés sur le parcours (tenu secret), peuvent voir passer les coureurs depuis le pas de leur porte, en mettant bien le masque. On verra juste un peu plus de monde, très limité, dans les agglomérations. Rien à voir avec la foule des années précédentes.

Passage des coureurs à Schoten, lors du Grand Prix de l’Escaut. Peu de spectateurs à cause du huis clos (photo Jean-Marc Devred)

Tenus loin des rares spectateurs, avec interdiction de signer des autographes ou de faire des selfies, les coureurs restent confinés dans leurs grands autocars avant et après la course. Et se sentent parfaitement en sécurité même s’ils regrettent l’absence de public pour les encourager.

Des coureurs sous cloche

« Nous les coureurs ne sommes pas confrontés au public, mais les gens peuvent être contaminés.« , confirme ainsi l’un des principaux acteurs de la campagne Anthony Turgis. » Les organisateurs prennent le maximum de mesures pour permettre le bon déroulement de leur course. Nous sommes logés entre nous à l’hôtel. A part les journalistes, nous ne voyons personne au départ comme à l’arrivée. En tant que sportifs, nous sommes bien protégés par ces mesures sanitaires ».

Mathieu Van Der Poel en zone mixte à Roulers. Une distance de sécurité est respectée avec la presse (photo Jean-Marc Devred)

Le protocole est encore plus strict aux arrivées. Le huis clos est total pour les spectateurs, avec des grilles, des barrages et du personnel partout. Même pour les media, les accès sont (dé)limités. Que les photographes et les caméras des détenteurs de droit sur la ligne d’arrivée et le podium officiel. Une zone mixte réservée aux journalistes. Pas de partenaires ni d’invités dans ces zones stratégiques. Et toujours, des mesures de distanciation et le port du masque obligatoire, en intérieur comme en extérieur.

Le summum de l’innovation a été atteint au Grand Prix E3 à Harelbeke, le 26 mars. Les organisateurs ont utilisé un robot qui a remis les médailles aux trois premiers de la course. Auparavant, ce « droïde » digne de Star Wars prenait la température des suiveurs, et faisait la police pour les gens qui ne portaient pas le masque. Un aperçu du monde d’après, qui n’est pas passé inaperçu., comme on peut le voir dans cette vidéo tweetée par l’équipe Deceuninck Quick Step.

La salle de presse… dans une église !

Plus surprenant encore: sur le site d’arrivée de Gand-Wevelgem. La salle de presse des années précédentes était transformée cette année en centre de dépistage covid. Conséquence: elle se trouve dans … l’église de Wevelgem, située à 100m de la ligne.

80 journalistes ont ainsi pu installer leurs ordinateurs, leurs appareils ou leurs caméras, dans la nef très claire de l’église, qui n’a le droit d’accueillir que 15 paroissiens lors des messes. Mais il est vrai qu’en Belgique, le cyclisme est une religion…

Clin d’oeil de l’organisation à ce sujet: le mot de passe pour accéder au wifi de la salle de presse, c’était d’ailleurs: » saint-vélo ». Tout un programme…

La salle de presse installée … dans l’église de Wevelgem ! (photo Jean-Marc Devred)

Les courses belges, grâce à ce luxe de précautions, sont allées jusqu’au bout. Les organisateurs ont montré qu’il était parfaitement possible d’organiser des courses en limitant au maximum les risques de contagion.

Des lieux de départ hors des centres-villes

Ainsi, l’ancien champion du monde Philippe Gilbert a expliqué, au départ de Gand-Wevelgem, avoir subi des tests de dépistage covid 12 fois en deux semaines. » Le cyclisme a montré qu’il a été un des premiers sports à s’adapter, à prendre des décisions et à les respecter », a ainsi confié l’ancien vainqueur de Paris-Roubaix et du Tour des Flandres. « Nous avons prouvé qu’il était possible de continuer à travailler. C’est sûr qu’aujourd’hui, il aurait dû y avoir des milliers de spectateurs à Ypres pour assister à un départ majestueux. Et à part vous les journalistes, il n’y a personne. C’est un peu triste… »

Philippe Gilbert avant le départ de Gand – Wevelgem (photo Jean-Marc Devred)

Effectivement, quelques minutes plus tard, les coureurs partiront sous le soleil, au son de la cornemuse pour un départ fictif chargé d’émotion. Quelques heures plus tard, c’est le prodige Wout Van Aert, très motivé, qui s’imposera dans le centre de Wevelgem., à l’issue d’un sprint rageur.

Pour limiter au maximum la présence du public, les organisateurs ont été jusqu’à quitter leurs lieux de départ habituels, souvent placés en plein centre-ville. Ainsi, pour A Travers la Flandre, la place de Roulers a été abandonnée car beaucoup de riverains auraient pu assister au rassemblement des coureurs. Le stade municipal remplace la place à l’extérieur de l’agglomération, et plus facile à sécuriser. Le stade avait l’allure d’un camp retranché avec la police qui régulait les accès.

Pas de ligne de départ à Terneuzen !

Dans le Grand Prix de l’Escaut (de Schelde Prijs, en Néerlandais), le peloton s’est rassemblé en pleine zone portuaire à Terneuzen, aux Pays_Bas, loin de toute habitation. Il fallait présenter les bracelets attestant avoir subi un test covid négatif pour accéder à cette zone perdue. Des tests avaient lieu sur place pour les suiveurs qui n’avaient pas l’attestation.

Les coureurs ont cherché la ligne de départ dans le port de Terneuzen (photo Jean-Marc Devred)

 A Terneuzen, pas de village-départ. Pas même de salle de permanence, ni de salle de presse. Le chargé de presse de Belgium cycling, Guy Vermeiren, a ainsi dû se rabattre… dans sa voiture, pour distribuer les accréditations aux nombreux journalistes présents. Ce jour-là, on s’attendait même à une annulation de dernière minute de la part des autorités néerlandaises.

Finalement, la course peut partir Mais les coureurs ont dû chercher le lieu exact du départ fictif. Tellement fictif qu’aucune ligne n’a été tracée !

Des courses de guerriers

Toutes les courses de la campagne flandrienne ont pu avoir lieu, malgré la montée de la tension sanitaire en Belgique. Et elles ont donné lieu à un beau spectacle… télévisé. Les autorités incitaient en effet le public belge à rester chez soi et à suivre les courses sur les chaînes publiques ou Eurosport.

Des courses de spécialistes, de guerriers sur des routes étroites pas toujours pavées de bonnes intentions. De Julian Alaphilippe à Mathieu Van Der Poel, les meilleurs étaient là. Tous désireux de décrocher une victoire de prestige, dans cette période incertaine où personne ne pouvait savoir si la saison ne s’arrêterait pas brusquement, comme en 2020.

Les coureurs après l’arrivée de Gand – Wevelgem (photo Jean-Marc Devred)

Comme chaque année, les coureurs animent ces courses dures et intenses. Les guerriers flahutes étaient au rendez-vous. Les stars ont connu des fortunes diverses dans ces épreuves sans répit. Wout Van Aert a gagné Gand-Wevelgem avec maîtrise.

Les Français bien présents

Pas de victoire en revanche pour Julian Alaphilippe ni Mathieu Van Der Poel. Le surdoué néerlandais a même craqué dans la dernière ligne droite du Tour des Flandres, remporté par Kasper Asgreen. Le champion du Danemark a certainement été le héros de cette campagne historique.

 » Des courses difficiles que j’aime beaucoup… »

Christophe Laporte (Team Cofidis), 2ème de A Travers la Flandre

Les Français, même s’ils n’ont pas gagné, se sont montrés à leur avantage sur les routes flamandes souvent ventées. De Damien Gaudin, 2ème de la Nokere Koerse, à Clément Russo, 5ème du Grand Prix de l’Escaut, les tricolores ont souvent brillé, à l’instar de Florian Sénéchal, Anthony Turgis ou Christophe Laporte, qui sont tous passés très près de la victoire. ou sont rentrés dans le top 10.

Christophe Laporte a pris la 2ème place de A Travers la Flandre (photo Jean-Marc Devred)

Le routier-sprinter de Cofidis, a ainsi terminé 2ème de A Travers la Flandre, à Waregem, remportée par le Néerlandais Dylan Van Baarle. Une performance qui montre combien ce Varois apprécie les courses belges. » C’est ma 8è année professionnelle. J’ai eu le temps de m’acclimater à ces courses difficiles que j’aime beaucoup. A chaque fois, je reste 10 jours ici pour faire toutes ces courses. Cette année, nous logions du côté d’Audenarde. Avec Jempy (Drucker), nous avons pu reconnaître ces routes que je connais autant que les coureurs locaux maintenant. »

Florian Sénéchal frustré

Florian Sénéchal, le Nordiste, a brillé encore plus dans cette campagne flandrienne. Le coureur de Ligny-en-Cambrésis avait axé sa saison sur cette longue période de classiques avec comme objectif final Paris-Roubaix. Depuis le Grand Prix José-Samyn, il est monté en puissance progressivement pour confirmer sa présence dans le cercle des meilleurs spécialistes des classiques flandriennes.

Mathieu Van Der Poel et Wout Van Aert se sont inclinés devant Kasper Asgreen au « Ronde « 

Troisième à la la Bredenne Koksijde Classic, le Cambraisien a terminé 2è du Grand Prix E3 à Harelbeke. Il aurait sans doute pu emporter cette grande classique belge s’il n’avait pas joué la course d’équipe au profit de son équipier de la Deceuninck- Quick Step Kasper Asgreen, parti à 20 km de l’arrivée. Car ce jour-là, Sénéchal était bien le plus fort.

Il sera présent sur chaque course pour terminer par une excellente 9è place au Tour des Flandres gagné par … le Danois Kasper Asgreen, l’homme-fort de cette campagne. Une maigre consolation car le report de Paris-Roubaix, qui s’annonçait inéluctable, vu l’acharnement du préfet des Hauts-de-France, a mis fin à son rêve de remporter Paris-Roubaix.

Une seule course n’a pas eu lieu durant cette campagne flandrienne. menacée par la pandémie. C’est justement … Paris-Roubaix; la seule qui n’était pas organisée par les Belges. Les autorités françaises se sont en effet montrées beaucoup plus frileuses que nos voisins flamands.

Paris-Roubaix, la reine des classiques, reportée

La reine des classiques, de loin la plus belle course de cette série printanière, a forcément manqué à tous ces spécialistes. Elle aura lieu le 3 octobre… ou pas. Pour l’instant, Paris-Roubaix est simplement reportée.

Mais c’était déjà le cas en 2020. Et elle a été finalement annulée. Cette incertitude, c’est peut-être cela… l’Enfer du Nord.

Wout Van Aert a sauvé sa campagne en remportant Gand – Wevelgem (photo Jean-Marc Devred)

LE PALMARES 2021

Nokere Koerse (19 mars): 1) Ludovic Robeet ( Belgique/ Bingoal Wallonie Bruxelles) 2) Damien Gaudin (France/ Team Total Direct Energie) 3) Lucas Mozzato (Italie/ B§B Hôtels).

Bredene Koksijde Classic (21 mars): 1) Tim Merlier (Belgique/ Alpecin – Fenix) 2) Mads Pedersen (Danemark, Stek Segafredo) 3) Florian Sénéchal (France / Deceuninck Quick Step).

Trois Jours de Bruges La Panne (24 mars): 1) Sam Bennett (Irlande/ Deceuninck Quick Step) 2) Jasper Philipsen (Belgique/ Alpecin Fenix) 3) Pascal Ackermann (Allemagne/ Bora Hansgrohe).

Grand Prix de l’E3 Harelbeke (26 mars): 1) Kasper Asgreen (Danemark/ Deceuninck Quick Step) 2) Florian Sénéchal (France/ Deceuninck Quick Step) 3) Mathieu Van Der Poel (Pays-Bas/ Alpecin Fenix).

Gand- Wevelgem (28 mars): 1) Wout Van Aert (Belgique/ Jumbo Visma) 2) Giacomo Nizzolo (Italie/ Team Qhubeka Asos) 3) Mattéo Trentin (Italie/ UAE Team Emirates).

A Travers la Flandre (31 mars): 1) Dylan Van Baarle (Pays-Bas/ Inéos Grenadiers) 2) Christophe Laporte (France/ Teal=m Cofidis) 3) Tim Merlier (Belgique/ Alpecin Fenix).

Tour des Flandres (4 avril): 1) Kasper Asgreen (Danemarck/ Deceuninck Quick Step) 2) Mathieu Van Der Poel (Pays-Bas/ Alpecin Fenix) 3) Greg Van Avermaet (Belgique/ AG2R Citroën Team).

Grand Prix de l’Escaut (7 avril): 1) Jasper Philipsen (Belgique/ Alpecin Fenix) 2) Sam Bennett (Irlande/ Deceuninck Quick Step) 3) Mark Cavendish (Grande-Bretagne/ Deceuninck Quick Step).

A propos de JEAN-MARC DEVRED 1581 Articles
Journaliste professionnel depuis 1980, après des études de journalisme au CUEJ de Strasbourg. Carrière en presse écrite, en radio et surtout en télévision à France3 Nord-Pas-de-Calais.

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